Chronique du mille-pattes (4) Et bien, dansez maintenant ??? Première danse

Il est bien pratique d’être un mille-pattes : on peut lire en même temps toutes les feuilles de chou locales avant d’en faire son repas. C’est ainsi que passant de LS à la LB, j’ai découvert que Philippe de Woot, professeur émérite et ami des GP pour le climat (lire son témoignage de soutien ailleurs sur le site) avait été l’invité de la Libre du week-end (7/8 février 2015). Le thème de son message riche et complexe est « L’entreprise doit transformer sa créativité en progrès ». Les deux pages de texte méritent une lecture attentive. On y découvre un « angle d’attaque » plutôt rare chez les défenseurs de la planète et les inquiets du changement climatique.

Rappelons quelques points forts de son témoignage :  «  Le dérèglement climatique est la menace la plus grave qui pèse sur notre avenir. Nous savons désormais que nous en sommes responsables…       Notre modèle économique en est une des causes majeures. En accélérant sa course, il commence à détruire la planète par les gaz à effet de serre, l’épuisement des ressources, la pollution des eaux et des sols, la destruction de la biodiversité… La transformation de la société et de son modèle de développement commence par une prise de conscience des finalités de notre action et par un engagement sur le type de monde que nous voulons construire ensemble »

Cette prise de conscience, qui est notre point commun à tous, engagés dans l’aventure des « grands-parents », se décline généralement, et c’est fort bien, dans des projets  de changement des modes de consommation, de développement d’une (contre) économie de proximité, de promotion de modes agricoles plus respectueux  de la terre, bref dans tout ce qu’un mille-pattes peut faire pour sauvegarder la terre nourricière en éduquant ses petits-enfants à ne pas mourir d’indigestion, en n’avalant pas plus que leur ration recommandée quotidienne !

Mais au-delà de cet horizon, la société de production capitaliste est là, et elle dysfonctionne. Comment la faire entrer en transition vers une société plus frugale, durable, éthique ? La critique extérieure au « système », pour fondée qu’elle soit, peine à trouver des relais convaincants auprès de nos gouvernements et des milieux d’affaires.

La démarche de Philippe de Woot est de plaider pour un retour de l’éthique et du politique dans la sphère de l’économie et de l’entreprise.  Mais, au moins dans cette interview,  il met surtout en exergue la créativité de l’entreprise, sa capacité à quitter les domaines en régression et à utiliser son savoir-faire technique, humain, dans l’innovation. Et cela que ce soit par des « start-ups », des PME ou de grosses entreprises comme Umicore, ex Union Minière, « parvenu à orienter sa créativité vers un des grands défis du XXI° siècle, qui est la protection de l’environnement ». Et PdW de raccrocher sa pensée à celle de Schumpeter, économiste du début de XX° siècle, sur la « destruction créatrice », ruptures et innovations issues de l’extraordinaire ingéniosité de l’humain. Et s’il peste contre la caste des économistes classiques devenus des économètres tournant en rond avec les mêmes outils, il note l’émergence d’une nouvelle pensée orientée vers la prospérité, le bien-être durable, avec de nouvelles définitions et de nouvelles politiques, comme notre amie Isabelle Cassiers et le britannique Tim Jackson (« Prospérité sans croissance »).

Cette interview, et sans doute son dernier (petit) livre « l’innovation, moteur de l’économie », laissent en suspens quelques interrogations. Les modes du retour du politique et de l’éthique, que PdW appelle de ses vœux, restent à esquisser, définir et mettre en œuvre. Nous sommes bien d’accord que l’entreprise « performante » d’aujourd’hui et de demain ne doit pas se contenter de maximiser le profit pour ses actionnaires. Mais la morale n’étant pas le fondement de nos économies (comme Adam Smith l’aurait souhaité), il faudra bien tenir les deux bouts de la chaine : encourager l’esprit d’entreprise « destructeur (des mauvaises habitudes) et créateur (de biens et de services socialement orientés) – mais aussi  veiller à la renouvelabilité des ressources, empêcher que de nouvelles activités mettent en danger la santé humaine, et donc  réglementer ces activités, les produits, les processus pour garantir le bien-être social, mais aussi pour  donner à la société la possibilité d’une frugalité heureuse. Notre mouvement, dont PdW a salué la création, entend bien être un aiguillon pour stimuler cette réorientation.

Ouille ouille ouille, j’ai trempé mes pattes dans l’économie presque théorique. Vais-je devoir continuer tout en mâchant mes feuilles ?

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