Les années filent, comme les étoiles
Les enfants, il est temps d’aller dormir.
C’est leur père qui a parlé. Maxime et Olivia me jettent un regard en forme de point d’interrogation. C’est la seule soirée de vacances que nous passons ensemble et nous sommes si contents de nous retrouver dans cette maison en Ardèche, que je propose de jouer les prolongations raisonnables.
Est-ce qu’on pourrait aller observer les étoiles sur le banc ? Dix minutes ?
Pas de problème, allez-y avec Mamy. Attention aux moustiques …
Et nous sortons dans la nuit tombée. A première vue, le firmament nous semble bien pauvre. On ose à peine s’aventurer dans la prairie, vers “le vieux banc de Laeken” qui ne s’attendait certainement pas à finir sa carrière de banc public métropolitain dans ce hameau perdu. Mais que rêver de mieux lorsqu’on se savait destiné à la déchetterie ?
Un siège bien long, capable d’accueillir sans craquer cinq ou six paires de fesses ! Ses accoudoirs peints de bleu lavande l’ont rajeuni et intégré dans le paysage. Il ne fait pas ses cent ans.
Nos yeux s’habituent peu à peu à la nuit. Nous avançons cependant d’un pas hésitant dans l’herbe encore touffue de cet été pluvieux. Nous sommes à la mi-août, nuit des étoiles.
Ils se sont serrés contre moi, l’un à gauche, l’autre à droite, si proches qu’il y aurait encore de la place pour plusieurs adultes.
On lève la tête et spontanément, on chuchote :
Il y en a de plus en plus, Mamy.
Moi j’ai trouvé “la casserole”, dit le grand.
Le chariot de la Grande Ourse ?
Oui, mais elle me fait plutôt penser à une énorme poêle…
Pas mal, ton idée, Maxime ! En fait, les quatre diamants en rectangle, ce seraient nos petits-enfants. Babou et moi, on ferait sauter les crêpes …
Ils rient de l’intérieur. On n’ose pas faire de bruit …C’est comme si nos voix allaient rompre l’enchantement et effrayer les milliers de points scintillants.
Là, un avion. Un clin d’œil vert, un clin d’œil rouge … il va vite, quand même !
Et là, au-dessus du toit, un satellite !
Le silence revient.
On entend les cigales, souffle Olivia.
Mais non, ce sont des grillons. Les cigales ne chantent qu’en plein jour, et s’il fait au moins vingt-huit degrés.
Chuuuut … fait Maxime.
Atmosphère de recueillement qui contraste tellement avec les cris de joie dans la piscine, cet après-midi. On écoute la nuit en se laissant envelopper par elle.
Je savoure l’instant. Comme c’est bon d’être si proche de deux trésors !
Il y a deux mois, même moins, on se tenait à un mètre cinquante de distance, avec nos masques. Quelle chance nous avons, ce soir …
Ils ne répondent pas mais se rapprochent encore. La petite pose la tête sur mon épaule. L’aîné garde les yeux vers la voûte céleste mais je sens son bras contre le mien. Il ne veut pas rater une étoile filante.
Mamy, j’en ai vu une !
Où ça, Olivia ?
Trop tard, elle est passée si vite … chuchote-t-elle.
Fais un vœu, chérie, et surtout ne le dis pas tout haut.
Un vent léger apporte enfin un peu de fraîcheur. Il a fait caniculaire toute la journée. On sent remonter le parfum de la menthe sauvage qui a poussé partout.
Il faudrait rentrer. On avait demandé dix minutes …
Nos sandales font un peu crisser le gravier du terrain de pétanque qui nous sépare de la maison.
La petite échappée se termine.
Lorsque nous faisons coulisser la porte-fenêtre et entrons dans la pièce éclairée, je sens que le marchand de sable peut passer. Ils sont prêts …
Ce que je ne leur dis pas, c’est que j’ai caché quelques pépites d’étoiles au fond de ma poche, pour les voir scintiller un soir d’hiver.
Maggy Baeyens, Août 2021