Mon petit boubou, par Georges Lognay
Incipit : la lettre à Boubou qui a tout déclenché …
Mon petit Boubou
Dans quelques jours, exactement 60 années après moi, tu arriveras sur un banc à l’école « pour apprendre ». Avant, vois-tu c’est ainsi que l’on nommait l’école primaire. Du jeu, tes journées vont passer à l’écriture, au calcul et à toutes ces belles choses pour que tu te construises, que tu sois toi ! Que tu sois toi dans le monde. Signe des temps : quand j’étais à ta place on commençait par écrire sur une ardoise avec une touche. D’un côté les lignes pour soutenir le texte, de l’autre des petits carrés pour les calculs. Ensuite, c’était le porte-plume et l’encre noire. On recevait tous une belle mallette en cuir, un livre de lecture et un autre de calcul. Maman m’avait recouvert de beaux cahiers avec du papier bleu… J’étais très fier ! J’ai gardé tout mon plumier pendant 6 ans bien que les touches aient disparu. Ah, j’oubliais, on avait tous des papiers buvards car l’encre noire devait être séchée avant de fermer les cahiers. Tout cela a disparu, oui, tout a changé.
Voilà septembre et tu vas, toi aussi, être équipé de beaucoup plus de matériel : des bics, des marqueurs en plastique, une mallette made in très loin et certainement pas mal de gadgets ; le tout bien différent de ton grand-père. Je pense qu’en seconde année, la plupart de tout cela devra être remplacé et qu’une grande partie de ton matériel ira gonfler une poubelle ou pire se retrouvera quelque part dans la nature, à ton insu. Rassure-toi, petit, je ne vais pas te faire la leçon. C’est seulement pour te dire combien « tout » est différent d’il y a soixante ans.
Je te souhaite une très belle première année avec tous tes amis et ta « nouvelle madame ». Je pourrais t’en dire bien beaucoup sur tout çà quand tu viendras à la maison, ta « datcha » à la campagne. Mais lorsque nous irons ensemble écouter le pivert et nous réjouir du saut des écureuils, je ne te raconterai que des histoires naturelles si belles que tu trouveras plaisir à écouter la nature, te réjouir de la grandeur des arbres tout autant que d’un chant de pinson ou d’une grive musicienne. Tu pourras faire de même bien plus tard avec tes petits enfants lors de vos promenades dans les bois… s’il y en a encore. Tout en marchant, je t’expliquerai comment les grains de blé arrivent… jusqu’à la tartine que tu dégustes le matin au déjeuner. Quand il fera nuit, avant d’aller dormir, nous irons encore dans ton « camp secret » quelque par au-dessus d’un mirador. A la lueur de nos frontales nous débusquerons le gibier … Tu feras peut-être de même si, du gibier, il y en a encore. Oui, petit Boubou, je te présenterai le monde merveilleux, comme tu pourras peut-être le faire dans 60 ans, si tout n’est pas fichu…
Allez, Boubou, je t’embrasse bien fort et te souhaite un tout bon début à l’école. Sois bien courageux et vis une toute belle, chouette, giga-super première aventure. Tu peux, mon petit Ninja-go, mon petit Boubou.
O’Papy , ton grand père qui t’aime très fort.
CORPUS : la visite de Boubou à son grand-père…
Papa ou Maman a lu ma lettre.
Le petit s’était tant réjoui de recevoir un courrier à son nom. Ninette, sa « grande cousine » en recevait une chaque semaine avec les mots que l’ aïeul lui écrivait en belle calligraphie, comme en 1961. Mais, pour la lettre de Boubou c’est sans compter sur l’impact un peu manqué du petit plis qui se voulait « encourageant » car l’enfant est très subtil, il a tout capté et s’est arrêté sur des mots tels que « fichu » ou « s’il y en a encore ». Le grand-père n’y avait vu que du feu tant pour lui tout « çà » est quasi « normal ». Il paraît qu’à la lecture les sourcils du bambin se sont bien plissés et que son visage a montré des signes de virage à l’eau sodique et lacrymale. Aussitôt, les fins parents l’ont consolé et promis que ses questions seraient évoquées lors du prochain WE avec l’auteur de la lettre.
Le samedi suivant, en visite dans sa datcha hesbignonne, aussitôt les gros bisous échangés, Boubou et GéhèL , son grand père se sont équipés et on rejoint les bois. Paix sylvicole, pas de pluie, chaleur du moment, les deux se retrouvent assis sur un tronc d’arbre déjà couché depuis longtemps. Sans plus attendre, LA question arrive : « O’Papy, si j’ai bien compris, tu as dit que les animaux vont disparaître ? … donc moi aussi alors ! Et mon petit frère, mon Papa, ma Maman, mes cousins, mes amis ? » Le vieux Monsieur sent qu’il est temps de « casser la noix » et d’user de la différence d’âge comme un maître d’école le fait avec son élève. Dans le cas présent tout se prête pour que beaucoup d’amour filtre les propos. « Ecoute bien Boubou, je vais t’expliquer ! ». Les petits yeux plongent dans ceux du grand-père comme pour dire : « pas de galéjades, pas de bla-bla, rien que la vérité s’il te plaît ». Le vieux, se râcle la gorge, prend la petite boîte métallique avec les « chiques » à la violette (il vient de l’Est belge !) en offre au petit et la discussion commence. Il fait radieux ! Tout en taillant un morceau de bois mort avec son couteau hyper-aiguisé, le vieux reconte. Comme par magie, les mots arrivent mais, plus tard le compère reconnaîtra qu’il n’a pas eu facile. Effectivement : expliquer bon nombre de changements qu’il connaît ( il les a vécus) n’est pas simple, il faut user de paroles correctes et accessibles. Pas question de faire peur ! Les propos ne s’envolent pas, ils restent en mémoire !
Comme pour se donner une contenance, le vieux monsieur a d’abord fait rire l’enfant par quelques histoires liées à ses facéties de gamin. Ensuite, LA question du petit est à nouveau revenue ! « Boubou, sois rassuré, rien ne va disparâitre maintenant, tout de suite. Je t’explique : notre monde est une planète qui est peuplée d’êtres vivants . Il y a des plantes, des animaux et des tout petits organismes comme les microbes. On ne les voit pas à l’oeil nu. Il y a aussi des hommes comme toi, comme ta grand-mère comme tous les gens qui vivent sur terre ». L’enfant rétorque « il y a aussi des dinosaures ? ». Pas vraiment, ils ont disparu il y a très très longtemps bien avant que l’homme ne soit là. Donc tu ne peux jamais en rencontrer un , il n’y en a plus. D’ailleurs, il n’y a que dans les films que les hommes et les dinosaures se sont recontrés car l’homme est arrivé très très longtemps après la disparition du dernier terrible T Rex. Depuis ce moment là, le monde a évolué, il y a eu beaucoup, beaucoup de changements. Le petit semble avoir compris ce qu’est une durée mais à son âge, rien n’est moins sûr. « Regarde, le temps passe : depuis que nous discutons, j’ai taillé le bois et il a diminué d’épaisseur, le temps a passé depuis que je l’ai pris jusqu’à maintenant. Les petits copeaux sur le sol, je ne pourrais jamais les recoller pour faire du bois bien dur comme il était. On ne sait pas revenir en arrière ». Cette fois Boublou sourit, il a bien compris que le temps s’en va et que les conséquences du temps qui passe restent ! Alors vient inévitablement l’interrogation revient cette fois plus inistante et précise : « O’papy on dit partout : le temps change . ça veut dire quoi ?, c’est dangereux pour moi, mon petit frère et tout le monde ? ». GéhèL, l’aieul répond : « oui Boubou le temps change. Non pas sa durée mais la météo, le temps qu’il fait. Quand je suis rentré en première primaire, en été il faisait chaud, il y avait beaucoup de soleil en Juin, juillet et août. Dès le mois de novembre, il gelait. Le 1 novembre on était morts de froid lors de la visite des tombes au cimetière. Aujourd’hui, il n’y a plus de saison, tout change : certaines années il fait très très chaud en été durant d’autres c’est la galère, il pleut tout le temps. Regarde, durant les vacances d’été qui se terminent, il y a eu d’énormes inondations dans la ville où je suis né, là-bas tout au bout du pays ». « Oh oui, j’ai entendu à la télé. Il a beaucoup plu, beaucoup de gens ont tout perdu » répond l’enfant. « Tout à fait », répond le grand père. « Je t’explique : il fait de plus en plus chaud ici dans le pays et partout sur la terre. Alors plus il fait chaud, plus l’air est humide, plus il contient de l’eau, cela forme des nuages comme celui que tu vois au dessus de nous ». Le petit bonhomme lève la tête et capte l’idée en regardant par le trou dans les arbres qui fait la clairière où nous sommes.
« Si, dans le ciel, les vents ne sont pas assez forts pour faire partir les nuages plus loin, ils restent au dessus de nos régions … puis ils perdent leur eau sans beaucoup bouger. Il pleut donc beaucoup aux mêmes endroits. Trop d’eau sur le sol fait que celui-ci se comporte comme une éponge. Quand l’éponge est toute « remplie » d’eau, si tu en rajoutes, elle coule. La terre c’est comme ça. Il lui montre avec une poignée de mousse en main et un peu d’eau coulant de sa vielle gourde en alu qu’il prend toujours avec lui pour les promenades. « Quand la terre a « bu » toute la pluie, s’il en arrive encore l’eau va couler vers les rivières puis vers d’autres rivières plus grosses puis vers un fleuve qui va se jeter dans la mer, cette « grande piscine » comme tu disais quand tu étais tout petit. Si trop d’eau arrive, cela cause des inondations un peu partout au bord des rivières . C’est ce qui s’est passé ici en juillet ». Le petit a bien saisi l’explication mais son petit doigt lui signale que tout n’est pas dit. Il commente : « donc s’il fait plus chaud, il y a des inondations mais aussi des incendies, je l’ai entendu à la télé. Mais O’papy, pourquoi il fait plus chaud ? » Le vieux s’attendait à l’interrogation, la logique n’a pas d’âge. Flash back 60 ans avant. « Quand j’avais ton âge il y avait 3 milliards d’hommes sur la terre . Aujourd’hui nous sommes presque 8 milliards. C’est beaucoup plus n’est-ce pas ? Compte un peu sur tes doigts ». Après la première main, Boubou ajoute encore 3 doigts de l’autre … et il se rend compte qu’à 3, il en a rajouté 5 et dit tout fier : « O’papy, 8 c’est très beaucoup plus grand que 3. Bien , tu as compris. Alors vois-tu aujourd’hui les 8 milliards d’homme vivant sur terre produisent beaucoup , méga beaucoup de CO2. C’est un gaz qu’ils rejettent dans l’air et, plus ce gaz est important dans l’air et plus celui-ci se réchauffe ». L’aïeul est tout ébaubi lorsque le gamin s’exclame : « donc le CO2 comme tu dis, c’est lui qui fait les inondations et les incendies !. C’est un peu ça oui, tu as bien compris. « Mais alors d’où il vient ce gaz ? ». Et bien il vient des hommes qui roulent en voiture, qui se chauffent au mazout, aux usines qui rejettent plein de fumées dans l’air, des incendies… Aujourd’hui il y a plus de CO2 qu’avant lorsque j’étais petit. Regarde prends encore tes doigts. Si un doigt représente une quantité de CO2, quand je suis arrivé en première primaire, il y en avait trois ( 300 ppm*) aujourd’hui, il y en a 4 ( environ 418 ppm). Ca suffit pour réchauffer la terre et ainsi causer la fonte des glaces. Trop de CO2 pollue la terre ». « J’ai compris » dit le petit : « la pollution c’est l’homme qui la fait avec le CO2 et les plastiques et plein d’autres crasses ». « Oui,c’est vrai mais il y a encore bien d’autres raisons… » dit le viel homme tout heureux de la logique enfantine. « La prochaine fois, je t’expliquerai aussi pourquoi l’homme est un peu bête à détruire toutes les grandes forêts qui, elles, prennent le CO2 pour en faire des feuilles, des racines et des troncs. Il serait bien que cela cesse mais restons-en là si tu veux bien.Je t’expliquerai plus tard ».
Alors maintenant, petit Boubou, venons-en à la fin de notre histoire. Le monde change à cause de l’homme, tu l’as bien compris : des animaux comme beaucoup d’insectes , des plantes disparaissent à cause du changement climatique, les glaces fondent, il y a des incendies et des inondations terribles. 60 ans après mon entrée à l’école, je me pose la question de savoir comment arrêter tout çà ou du moins diminuer la vitesse de ces changements et aussi je me dis, si on ne fait rien, y aura-t-il encore des animaux , des fleurs, des gens en bonne santé sur terre. Voilà pourquoi j’ai dit « s’il y en a encore » … Regarde, le temps a passé, le tas de copeaux a bien grossi et arrive le moment de rentrer mais avant, je voudrais encore te dire ceci. Moi, je suis vieux, j’ai des cheveux blancs mais toi tu es tout jeune. Ce n’est pas grave car ensemble , dès maintenant nous pouvons tous essayer de vivre bien, de vivre mieux pour Madame Planète, pour qu’elle vive mieux. Tu as déjà commencé avec tes parents regarde : avec Maman et Papa tu ne te déplaces pas en voiture,mais en tram et en train, pas en voiture qui pollue. Tes parents trient les déchêts et évitent les plastiques… ils font plein de choses bonnes pour la planète alors, petit fais en de même pour que, dans 60 ans, quand tu reviendras ici avec ton Boubou à toi, tu puisses lui dire « on a gagné » ! N’aie donc pas peur, petit bonhomme, il n’est jamais trop tard ». Le garçonnet sourit, il a tout compris !
Alors, le grand-père fond et lui dit , les yeux toujours dans les siens : « tu sais Boubou, finalement, il n’y a qu’une seule chose qui ne changera jamais : c’est que ta Maman et ton Papa t’aiment pour toujours comme mon Papa et ma Maman l’on fait et comme tu le feras pour tes
petits à toi. Cet Amour là existe, il est et ne change ni ne changera jamais. Quand tu seras plus grand tu comprendras encore bien mieux les paroles que je te dis à l’oreille pour qu’elles rentrent encore plus vite dans ton coeur. « N’aie donc pas peur mais, comme nous tous, ta famille, agis, toi aussi, respecte le monde !. Retiens encore ceci : « La terre se sauve par l’amour et la fraternité ». Si tu aimes bien les autres, alors il ne sera pas difficile de faire qu’ils soinet bien et eux aussi feront de même. Viens, il se fait tard, nous allons souper. Tu vas aimer : potage aux brocollis et salade en auto-ceuillette du grand jardin communautaire, pommes de terre frites de chez Joëlle & Jean, les fermiesr, nos voisins et un bon steak de boeuf qui vient du petit marché du jeudi sur la place communale, devant la maison. Pour dessert, je t’ai fait un bon pudding vanille au lait de ferme, tu vas te régaler. Le soir, je te raconterai une belle histoire pour t’endormir. Il s’agira de bien te laver les dents avant de filer au lit. Fais bien comme Ninette, ta « grande cousine ». Elle mouille sa brosse et son dentifrice puis coupe l’eau pour ne pas en gaspiller, le temps du brossage. Quelques gouttes d’économisées, « c’est bon pour la planète » dit-elle ».
« Ah Ninette, Ah Boubou, Ah Gastounet et Féfé mes petits enfants… comme je voudrais que vous soyez bien dans 60 ans et que vous viviez dans un monde un peu réparé grâce à vous, à eux, à nous tous ! I have a dream » pense le grand père.
Boubou est rassuré, une fois au lit, il s’est aussitôt endormi….
Starring : Boubou, le petit garçon de 6 ans, GéhèL (O’Papy, l’aïeul) , 66 ans, son grand-père pour le climat.
En guest star : Madame Nature avec tous les respects des acteurs.
Georges Lognay, Août 2021