Les arbres se sont mis en grève
LES ARBRES SE SONT MIS EN GREVE
Chapitre 1
La Grève des Arbres.
« Parlez aux arbres ». Nouvelle philosophie, nouvelle thérapie, nouvelle mode ?
Pour le savoir, profitant de ce beau temps de fin de mois d’aout, je me suis rendu dans la forêt avec l’intention de me faire copain avec un arbre, l’enlacer, et écouter ce qu’il avait à me dire.
Arriver là, lequel choisir, comment aborder la conversation ?
Mais je me suis rapidement rendu compte que la plupart des arbres ne voulaient pas me parler.
Fermés sur eux-mêmes, comme abattus, le teint jaune, ils refusaient tout contact.
Jusqu’au moment où j’en ai trouvé un, plus en forme que les autres, qui a bien voulu engager la conversation.
Rapidement il m’a expliqué leur situation d’arbre, pourquoi les autres se muraient dans leur mutisme.
Les arbres sont en grève me dit-il, et moi si je vous parle c’est parce qu’ils m’ont désigné comme leur porte-parole. Chez vous, les humains, on dirait, leur représentant syndical.
Avant d’aller plus loin dans la conversation et bien que je mourusse d’envie d’en savoir plus sur cette mystérieuse « grève des arbres », je ne pu m’empêcher de lui demander comment il connaissait si bien les humains et leurs organisations pour parler de syndicats.
Mais les arbres savent des tas de choses, me dit-il, les arbres sont très intelligents. Les hommes ne s’en sont pas rendu compte. Avez-vous jamais remarqué qu’un arbre arrive à vivre, se reproduire, se développer, conquérir d’autres territoires, vivre en symbiose et en collaboration avec d’autres arbres, d’autres essences, d’autres plantes et d’autre êtres vivants, et tout cela tout en étant immobile, ou plutôt, pas immobile, mais sans se déplacer, en restant toute sa vie au même endroit. Ne croyez-vous pas que pour cela il faut une intelligence diantrement développée ?
Devant une telle évidence, je ne voyais pas quelle autre explication demander de plus. D’ailleurs, je n’en ai pas eu l’occasion, car mon arbre commençait déjà à m’expliquer que les arbres voulaient manifester leur ras le bol devant l’obstination des hommes à leur pourrir la vie.
Bien sûr ça ne date pas d’hier, depuis qu’ils sont arrivés dans nos pieds, à nous les arbres, les hommes n’ont pas été tendres avec nous. Mais on leur pardonnait encore car ils faisaient parfois de grandes choses avec nous. Il est des arbres qui ont pu vivre une seconde vie grâce à des bâtisseurs, grâce à des artistes. Il est des charpentiers, des ébénistes chez qui on a pu trouver beaucoup d’amour et une grande connaissance des arbres, presqu’une complicité.
Mais là c’est trop, les hommes n’arrêtent toujours pas de nous éliminer à grande échelle, de mettre en péril les plus grandioses de nos habitats et de nos forêts, et puis, soudainement, au moment où ils commencent à avoir un peu trop chaud dans leurs villes, ils découvrent les bienfaits de nos ombrages. « Incroyable, jusque 7 degrés de différence entre une rue avec ou sans arbres ». Voilà la considération qu’on a pour nous. Incapables de freiner leurs excès et leurs agressions vis-à-vis de l’environnement et du climat, les hommes viennent nous chercher pour les aider à en supporter les conséquences.
Devant une telle naïveté, les arbres ont décider de ne plus se laisser faire. Ils ne veulent pas être dupes.
Bien sûr, on a un peu chaud, bien sûr on a un peu plus soif que d’habitude. Mais on en a vu d’autres. Ce n’est pas pour ça que nous laissons roussir nos feuillages.
En réalité on a décidé de faire la grève. Et quand on fait la grève, on dépose ses outils, on arrête la chaîne de production.
Et bien nous on laisse tomber nos outils, on laisse tomber nos feuilles. On arrête la saison avec un mois d’avance. Fini les 7 degrés de différence à l’abri de nos feuillages, ou les 20 à l’abri de notre canopée.
En fait, ils ne s’en sont pas encore rendu compte les hommes, mais fini aussi le recyclage carbone un mois plus tôt dans la saison. Sur une saison de six mois, ça fait quand même 16% en moins.
C’est là que j’ai compris que parler aux arbres, ça peut être très puissant. Eux qui ne se déplacent pas, il suffit d’écouter ce qu’ils ont à nous dire. Ils n’ont pas besoin de venir jusque chez nous, ni même de parler. Il nous suffit d’observer et de réfléchir. A ce moment-là peut-être réalisera-t-on bien des choses qui alors nous crèveront les yeux.
Jacques Adnet