EVEIL d’AUTOMNE

Hans-Christian se réveille, enfin conscient de la voix synthétique qui lui parle depuis…20 minutes. Après une trop longue sieste, il va être un peu en retard pour la gigantesque collation que le voisinage organise pour la « midsommarafton », la nuit la plus courte que les changements climato-tectoniques ont transférée du 21 juin au 21 septembre, date qui marquait jadis le début de l’automne.

A Roskilde, l’ancienne capitale du royaume de Danemark, il faisait jadis un peu frisquet à cette date. C’est le moment où les oiseaux migrateurs commençaient à vérifier si leurs jeunes de l’année étaient aptes à partir pour un long vol vers le Sénégal. Maintenant bien sûr, le gouvernement a créé un pont aérien où les volatiles, ou plutôt les ONG spécialisées peuvent faire des réservations à partir de Noël jusqu’à Pâques, sur des compagnies low-cost d’avions à hydrogène convertis en volières volantes.

Hans-Christian (HC), spécialiste du folklore du « temps-d’avant », aime se remémorer ce genre de changements. Finalement, tout va très bien. L’humanité s’est bien adaptée, malgré ce que les oiseaux de mauvais augure laissaient présager. Les cultures, les arbres ont un peu changé, pendant plusieurs mois on ne se promène guère dans la nature trop chaude et le ski nordique n’est plus qu’un souvenir. Mais on peut faire du jet-ski dans les eaux du fjord toute l’année. Et la climatisation est, dans nos pays, à la portée de tous.

HC entrebâille ses rideaux à l’ancienne  (un article collector comme beaucoup de son ameublement). Le soleil est bas sur la place  des fêtes qui s’étend au pied de son immeuble. On a rabattu les parasols de jour. Il y a déjà pas mal de gens qui boivent le premier verre (sans alcool, les boissons fortes commenceront à minuit). Ils et elles sont habillés en vêtements « réflector » qui éliminent chaleur et transpiration. L’évolution récente des mœurs permet de nouveau de choisir des tenues originales et des tissus plus ou moins translucides. D’ailleurs HC aperçoit Hilde, comme d’habitude en habit de courtisane transparent, enfin presque, ça ne lui plait pas beaucoup, mais il sait qu’il est un peu vieux jeu. Il commande à la voix un en-cas léger (il ne faut pas boire sur un estomac vide, les vieilles recettes sont toujours bonnes) et sa tenue « jour de fête exceptionnel ».

Dans son dressing-room la soufflerie le pare de son accoutrement du jour. Il ne peut retenir un regard vers la carte-hologramme du monde, une rareté qu’il doit à son rôle dans la nouvelle société. On y perçoit en un cycle holographique de deux minutes l’évolution du globe terrestre depuis cinquante ans. HC ne peut s’empêcher d’avoir un pincement de cœur. La montée des eaux océaniques, la disparition des glaciers et des calottes polaires ont rétréci la surface des continents, fait disparaître des archipels entiers. Puis vient la carte de la répartition de la population mondiale, les deux milliards d’habitants chanceux… Bon, n’y pensons pas, surtout un jour comme aujourd’hui. Un peu remué néanmoins, HC passe devant son bar et commande un cognac XO pour se changer les idées, et le boit d’un trait.

Mauvaise idée. Tout tourne autour de lui, il n’a que le temps de faire quelques pas vers son lit et d’y plonger en sommeil profond.

Bip-bip-bip, le réveil sonne. HC a l’impression de quitter une hypnose. Il sent à ses côtés la présence de sa compagne, Hilde. Un premier rayon de soleil un peu palot crée un clair-obscur inhabituel dans la chambre. C’est dimanche, HC, Hilde et leurs deux enfants ont pu dormir plus tard. Mais il faut mettre en branle la maisonnée. Le premier jour de l’automne est le jour des récoltes fruitières. Les mesures agro-environnementales de sauvegarde ont fait pousser des kilomètres de haies nourricières qui fixent les sols, et donnent des quantités de fruits rouges. De nouvelles zones forestières ont été créées, plantées d’arbres venus du Sud. Une industrie de graines et de plants s’est créée dans les pays du Sud qui ont réappris les bienfaits de leurs anciens couverts végétaux, luttent ainsi contre la désertification, et tirent profit de leurs ventes aux pays du nord qui se désolaient de voir tomber desséchés leurs arbres centenaires.

         Depuis le xième  rapport du GIEC, enfin avalisé par la dernière COP il y a cinq ans, un frisson a enfin parcouru les gouvernements… presque partout. En fait, les gouvernements ont surtout donné les moyens à la société civile et à ses millions de bénévoles de mettre en pratique les mille et une approches qui ont repris du passé le meilleur, et du présent le plus approprié, pour lancer enfin une transition difficile mais combien réconfortante. On produit et consomme moins et mieux, les quartiers redeviennent lentement mais surement des lieux de convivialité et de solidarité. La condition des Femmes a progressé, à petits pas bien affermis. L’association des Grands Parents Scandinaves pour le climat est désormais jumelée avec celle des Petits-enfants pour une vie meilleure.

Bon, se dit Hans-Christian, il est temps de se mettre en branle. Et quand tout le monde dort encore, en prenant son premier café, HC traduit en anglais le dernier manifeste d’automne de l’association scandinave. Il faut insister pour que dans les autres pays, les associations sœurs ou cousines créent ou donnent plus de d’élan à leur fête de l’automne et entonnent à 12 :30 CET l’hymne à la joie de la 9° symphonie. Que la planète vibre, nom d’une pipe (Comment rendre en anglais « namn på ett rör »  comme disent les Français ?)

Jean-Michel Corre (in tempore non suspecto, avant la COP de Glasgow !)

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