La marche et Paysage, par Christine Quertinmont

La marche

C’est devenu un rituel quasi quotidien. Celui des pas qui martèlent l’oubli du temps routinier.

Je suis des cartes, pour me perdre sans crainte.

 Elles sont couleur de glaise, de feuillages bleutés.

 Les chemins tout à coup s’y perdent ; leur parcours se modifie au fil des pas.

 Les carrefours perdent le Nord.

Et ma boussole intérieure s’affole.

 La sueur gelée mord la peau, les godasses engourdies de boue empêtrent, attirent vers les crevasses intérieures où souffle le vent de la perte, de la colère.

Parfois s’ouvrent des portes, au creux de portails fantômes. J’en perçois le franchissement. Alors l’air se densifie ou s’allège, la lumière porte un autre parfum.

J’entre dans un espace aux frontières abolies où le silence fait défaillir.

Le rituel opère souvent. Il vient toucher le noyau, le cœur qui bat et s’ouvre aux retrouvailles infinies.

Cerisiers, à l’écorce sombre,

Si vieux, si tordus

Si fertiles encore.

Vous me le montrez dans l’exubérance de vos ramures couvertes de fleurs éphémères et fragiles.

Ce souhait, cette aspiration qui m’habite de ne répondre à nulle attente, de n’entrer dans aucun schéma.
D’être là, sans pourquoi, sans parcours, presque sans histoire. De laisser tomber la taille des devoirs, des projets, des regrets et des peines.
D’ouvrir chaque pore à la lumière qui joue sur vos pétales.
Et de marcher, tranquille, sur un chemin qui ne mène nulle part.

Paysage

On le découvre d’un sommet, soudain, après une longue marche harassante, un matin de printemps.

Ce pourrait être une photo, un grand angle : on a l’impression de ne pouvoir y pénétrer tant l’image est parfaite.

Ce pourrait être une peinture d’enfant, tant les couleurs en sont vives. Et le dessin apparemment naïf.
Pourtant la marche s’engage sur le chemin où les pierres roulent sur la terre ocre.

Et soudain, on est passé de l’autre côté de l’écran. On y est. D’abord par une sensation douce de lumière verte sur la peau. Une vibration tranquille, dense, presqu’immobile.

Ce sont d’abord les prairies d’un vert de pomme acide qui pénètrent le corps, le vivifient.

Puis les chemins sinueux qui traversent les prés bordés de haies, dessinent un labyrinthe mental, une terre d’exploration sans fin.

Et plus tard encore, alors qu’on est à mi-colline, la toison blanche des cerisiers en fleurs donne au cœur un petit sursaut qu’on appelle l’extase peut-être, le débordement de soi.

Passant parmi les vergers en pente douce, on débouche au bord d’un creux, une sorte de grotte de feuillage dense, tapie dans l’inconnu. Si on y entre, le silence s’intensifie encore. Il donne à chaque craquement de brindille sous les pas, chaque appel d’oiseau dans le lointain une allure d’événement sans pareil.

 Rempli de merveilles, on se pose alors là, dans un rayon de soleil qui vient caresser les herbes d’une clairière.

Et on se dit : ici, je m’arrête.

Je reste ici pour toujours. Je suis en mon pays.

Christine Quertinmont

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