Georges-Louis Bouchez répond à Arnaud Ruyssen…et à Michel Cordier

photo RTBF

Suite à l’interview de Georges Louis Bouchez dans l’émission « le Tournant » d’Arnaud Ruyssen https://auvio.rtbf.be/media/declic-le-tournant-3020209 le 9 avril 2023, Michel Cordier a rédigé une note envoyée à G-L Bouchez.

Une réponse est parvenue du cabinet du président du MR. Découvrez ci-dessous la teneur de cet échange à propos de:

– climat et croissance du PIB,
– empreinte CO2, inégalités et fiscalité
– (dé)croissance et sobriété
– agriculture et biodiversité.

Pour bien comprendre la structure de cet article:

– Les propos précédés de G-L B sont ceux entendus lors de son interview par Arnaud Ruyssen.

– Les propos précédés de M C sont les commentaires contenus dans la note de Michel Cordier envoyée à G-L Bouchez

– Les propos précédés de « réponse de G-L Bouchez à MC » sont les commentaires que le cabinet a envoyé suite à la note de MC

  1. G-L B : « Nous devrons diviser nos émissions de CO2 par neuf à l’horizon 2050 (passer de 18 t/habitant à 2 t/habitant). »

M C : Il faudra réduire drastiquement nos émissions de CO2, c’est sûr, mais pour plus de clarté, en introduction, les chiffres cités méritent d’être précisés.

D’abord, de quoi parle-t-on ? Les repères en termes d’émissions de GES varient en fonction des sources consultées, car il existe plusieurs définitions : émissions de CO2 limitées au secteur de l’énergie, FFI-CO2 (Fossil Fuel & Industry), empreinte carbone (émissions liées à la consommation, intégrant les GES liés aux biens importés), émissions en CO2equivalent (dont le CH4 et autres GES), GES liés à la production territoriale (hors importations), etc.

Voici quelques repères :  

La moyenne mondiale actuelle de 6.6 t/hab est à comparer à l’objectif d’environ 2 tCO2eq par personne et par an souvent évoquée, à atteindre d’ici 2050 pour limiter le réchauffement à 2°C à l’horizon 2100. Sur quoi s’appuie ce « 2 t/habitant » ?

Les puits de carbone naturels ont une capacité d’absorption de CO2 limitée.

La partie non absorbée qui s’accumule dans l’atmosphère est responsable du réchauffement climatique.

Atteindre la neutralité carbone signifie que 100% des émissions de CO2 mondiales seraient absorbées par les puits de carbone.

Une empreinte carbone de 2 tCO2eq par personne et par an nous permettrait d’atteindre cette neutralité carbone [1].

Estimations 2019 [1]tCO2eq par habitant liés à la productionEmpreinte carbone (émissions liées à la consommation)
Moyenne mondiale6.66.6
EU7.99.7
Amérique du Nord19.820.8
Moyenne belge10.1 [1] [2]16 (?) [3]

Réponse de Georges-Louis Bouchez à MC :

En gros, ce sont les chiffres que nous utilisons. J’utilise la comptabilité GIEC (donc les émissions BE/nombre d’habitants = environ 10 tonnes par capita).

Pour l’empreinte carbone, contestable dans la méthodologie, on peut se référer à un papier du Bureau du Plan sur des données qui commencent à dater (papier de 2015 sur des chiffres de 2007) = environ 17 T./habitant.

MC : Quels sont les objectifs à moyen terme (2030) pour la Belgique ?

Pour contribuer à la lutte contre le changement climatique, l’UE a fixé des objectifs ambitieux de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. Le 14 mars 2023 le Parlement européen a adopté la révision du règlement sur la répartition de l’effort pour relever la barre de la réduction des gaz à effet de serre d’ici 2030 [1].

Ce règlement ne concerne pas les entreprises émettant beaucoup de CO2 (par exemple la production d’électricité, la métallurgie, les minéraux non-métalliques et les engrais), couvertes par le système communautaire d’échange de quota d’émission (en anglais ETS, Emission Trading System).

Il concerne uniquement les secteurs « non-ETS », c’est-à-dire principalement les transports (hors aviation), l’agriculture, les services, les bâtiments, la gestion des déchets, outre quelques autres industries non-incluses dans l’ETS. Ces secteurs sont responsables de la majorité des émissions de gaz à effet de serre de l’UE (en 2020 : 66 % des émissions totales de l’UE).

Pour la Belgique, cela donne ceci :

Emissions de CO2eq liés à la production, secteur non-ETS
20052020Objectif 2030
Millions tCO2eq79.666.642.2
Population (millions)10.4411.4911.96
MtCO2eq par habitant7.65.83.5

En 2020, le secteur non-ETS représentait 63% des émissions de CO2eq liés à la production.

Réponse de Georges-Louis Bouchez à MC :

Il faut poursuivre le raisonnement pour la Belgique :

  • Secteurs ETS : objectif 2030 passe de -43% à -62% au niveau UE ;
  • Secteurs non-ETS : nos objectifs pour 2030 seront sans doute de -47%

L’objectif UE 2030 pour la Belgique (par rapport à 2005) : cela fait donc 62% sur environ 40% des secteurs belges et 47% sur le reste, soit -53% en moyenne. Par ailleurs, certains gouvernements prônent ouvertement de s’inscrire dans le -55% à partir de 1990 (Wallonie).

Donc, en gros, qu’on soit dans la législation UE ou que l’on respecte l’accord de Paris, l’effort est globalement le même pour la société belge.

A partir de là, regardez le schéma ci-dessous et observez notre trajectoire jusqu’à 2027 (BfP – Perspectives économiques, juin 2022). Dans tous les cas, nous sommes complètement hors de la trajectoire 2030.

2. G-L B: Pour y arriver, tout en maintenant notre mode de vie, avec une croissance raisonnable de notre bien-être (= + 2% de PIB/an), le recours à de nouvelles technologies sera incontournable, les petits gestes ne suffiront pas. »

« Des investissements majeurs dans les (nouvelles) technologies créant des « infrastructures vertueuses » = la seule solution – « le levier central » – pour (1) tenir compte des impératifs climatiques, (2) tout en préservant les équilibres socio-économiques et la paix sociale ainsi que (3) nos libertés et la démocratie (pas de « communisme vert »).

« Côté énergies, nous avons besoin d’un juste mix :  ENR, e-gaz (fabriqué en laboratoire), hydrogène vert (pour stocker l’énergie) et comme elles ne suffiront pas pour remplacer les énergies fossiles, certainement le nucléaire :

– d’abord en prolongeant la vie de nos cinq réacteurs pendant une dizaine d’années

– et, en parallèle, en en prévoyant de nouveaux sur les sites existants, qui devraient être opérationnels entre 2035 et 2040 (une condition sine qua non pour que nous acceptions de rentrer dans une coalition après les élections de 2024),

– outre l’un ou l’autre Small Modular Reactor (dont la puissance équivaut à 1/3 de celle des grands réacteurs) dans certains sites industriels ou portuaires. »

« Plus de nucléaire, plus d’efficacité énergétique, des processus industriels générant moins de CO2, plus d’économie circulaire,… pour nous permettre de maintenir notre niveau de vie. Avec quand même quelques adaptations comme par exemple : arrêter l’étalement urbain (ramener les gens dans les villes). »

« Favoriser l’isolation des logements ? Oui, avec des prêts à 0%, mais pas avec des primes « qui déresponsabilisent les citoyens » et génèrent des effets rebonds (les économies réalisées alimentent d’autres dépenses de consommation). »

M C : Bref, poursuivre une croissance infinie dans un monde fini.

Comme on le lit de plus en plus souvent, « Quiconque croit qu’une croissance exponentielle peut durer toujours dans un monde fini est un fou ou un économiste. » (K. Boulding, économiste anglo-américain, 1910-1993).

Pour en savoir plus, lisez… ou écoutez Bruno Colmant : https://gpclimat.be/2023/03/22/le-neoliberalisme-est-il-compatible-avec-une-ecotransition-juste/

Réponse de Georges-Louis Bouchez à MC :

La croissance n’est qu’un moyen d’augmenter le bien-être. C’est un moyen, pas une fin.

Je ne sais pas si elle est infinie mais elle monte, en effet.

On peut alors se poser plusieurs questions :

  • Si la croissance n’est pas infinie, quand est-ce qu’elle doit se finir ?
    • Aujourd’hui ? peut-on estimer qu’on a atteint un optimum acceptable pour l’ensemble de la planète. Comment le répartit-on ?
    • Quand ? Quand tous les humains auront atteint notre développement ? Sans doute pas puisque des ONG estiment que notre style de vie « consomme » 4 planètes.
  • Partant du fait que c’est intolérable aujourd’hui et qu’il faut décroitre : qui doit décroître, dans quel pays, étant entendu que le Belge moyen – dont le bilan carbone est 5 fois trop haut pour rappel – doit diviser par 3 ou 4 son niveau de vie ? Niveau de vie qu’il voudrait voir à la hausse…
  • Un découplage du PIB et de la croissance est-il absolument impossible ?  

Nous prônons une croissance qui génère le moins possible d’externalités négatives. En conséquence, pour le changement climatique, nous agissons sur les causes de celui-ci : l’énergie, les processus industriels, l’agriculture et les déchets pour ce qui concerne la Belgique.

Nous mettons la démarche scientifique au cœur de notre projet. Toujours.

Tant qu’à faire, nous pouvons aussi considérer que cette phrase « croissance infinie dans un monde fini » est un dogme. Mais son contraire l’est aussi. On sait que la croissance finie dans un monde fini existe (sociétés préindustrielles). On sait que l’univers est sans doute infini, que l’Humain a une finitude aussi. Mais on n’a pas prouvé que la croissance infinie était incompatible avec le monde fini.

Au bout du compte, beaucoup se sont essayés à trouver la limite de la croissance et se sont trompés. A ce stade, la limite à cette croissance infinie reste à établir scientifiquement autrement que dans le modèle de Meadows. Pour ce qui nous concerne, nous préférons les modèles du GIEC et également le fait que les scientifiques disent qu’il est possible de croître pour créer du bien-être en décarbonant nos sociétés.

3. G-L B : « Réformer la fiscalité et taxer les 10 % les plus riches, responsables de près de la moitié des émissions de CO₂ ? Non. »

« Il s’agit des 10% les plus riches au niveau mondial. Comparé au reste du monde, nous (nos sociétés occidentales) faisons partie de ces 10% les plus riches. Créer de nouvelles taxes ? Oui, mais alors en en supprimant d’autres pour ne pas perdre l’adhésion des citoyens. Quant aux ultra-riches (les « 1% »), dans l’ensemble, ils ne pèsent pas lourd. Attaquer les riches n’est pas une solution. »

M C : Tous les citoyens d’un même pays riche feraient donc partie des « 10% les plus riches », et ils pourraient craindre que certains veuillent les surtaxer ?

Une dimension qui a été largement laissée de côté par les politiques climatiques du monde entier est la prise en compte de l’importante empreinte carbone des personnes les plus aisées au sein d’un même pays.

En Europe, l’empreinte carbone par habitant des 10% les plus riches  = 5.7 x celle des 50% les moins aisés (et 7.5 x en Amérique du Nord).

Source : Word Inequality Report 2022 – https://wir2022.wid.world/

Du graphique de gauche, on peut inférer que

  • l’empreinte carbone totale des 10% les plus riches en Europe : = 1.1 fois celle des 50% les moins aisés,
  • Aux USA : = 1.5 fois celle 50% les moins aisés
  • Les 10% les plus riches génèrent à eux seuls 30% des GES en Europe et 35% aux USA.

Le WORLD INEQUALITY REPORT 2022 nous apprend que, dans les pays riches, la moitié inférieure de la population (en termes de revenus) est déjà en dessous de l’objectif d’empreinte carbone par habitant pour 2030 (aux États-Unis, par exemple), ou très proche de celui-ci (en France, graphique de droite).

Il s’ensuit que tous les efforts de réduction des émissions doivent être consentis par la moitié supérieure la plus aisée de la population. Et en particulier par les 10% les plus riches, qui possèdent la majorité des richesses (et de ce fait, par leur exemple, poussent de proche en proche les 90% restants à rechercher toujours plus).

Il ne s’agit pas d’imposer davantage de réductions aux groupes à faible revenu, qui disposent de moins de ressources pour réduire leur propre empreinte carbone, par ailleurs déjà assez basse. Ni de leur faire peur en évoquant la perspective d’une potentielle « rage taxatoire » écologique.

Comme l’écrivait Dominique Méda, Sociologue dans Le Monde le 03-09-22 : « Maintenant qu’il est clair que la surconsommation des uns détruit la base de vie des autres, la lutte en faveur de la réduction des inégalités de revenus et de patrimoine apparaît comme une des principales politiques écologiques. »

Pour en savoir plus, voir : https://gpclimat.be/2022/10/05/climat-la-reduction-des-inegalites-de-revenus-et-de-patrimoines-simpose/

Réponse de Georges-Louis Bouchez à MC :

La réponse à la question concerne les inégalités pour l’ensemble de l’Humanité. Ce qui a un sens dans l’enjeu climatique puisque la cause est la même où que l’on soit sur le globe (une tonne d’émission en Belgique = 1 tonne partout ailleurs). Effectivement, au niveau de la création de richesses et des émissions de gaz à effet de serre qui en découlent, les Belges sont des « riches » à l’échelle de la planète.

Notre parti politique prône le libéralisme et l’émancipation pour tout un chacun. Il n’est pas question pour nous de laisser les « 50% » dans un état de dénuement parce que « c’est bon pour la planète ». De même, nous aspirons à ce que le libéralisme – comme c’est le cas depuis des décennies – sorte de la misère des millions de personnes qui sont dans l’extrême pauvreté ou les 800 millions de personnes qui ne mangent pas à leur faim chaque jour.

Plusieurs éléments :

  • Les statistiques qui figurent dans votre note ne semblent pas prendre en compte la redistribution des revenus. Ce sont les revenus primaires. Auquel cas, elles sont faussées pour la Belgique puisque, si vous réfléchissez au sein d’un même pays, les Belges ont un système redistributif très performant qui fait que le coefficient de Gini indique que les inégalités y sont parmi les moins grandes du monde. Mieux encore, l’inégalité a diminué depuis 2004 dans notre pays. Non seulement notre coefficient baisse depuis près de 15 ans (en tout cas jusqu’en 2019), mais en plus nous sommes devant la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, mais également la Norvège, le Danemark et la Suède en 2019.
  • D’autres indicateurs donnés par le Crédit Suisse dans son rapport sur la richesse (par ailleurs critiquable quant aux hypothèses retenues) accréditent également cette thèse. En effet, lorsqu’on s’intéresse au ratio entre la richesse médiane et la richesse moyenne par adulte (celui-ci considère que plus ce ratio se rapproche de 1 (ou 100%), plus la richesse est distribuée de manière égalitaire à travers une population donnée), on constate que La Belgique figure tout en haut de ce classement en 2021. La richesse médiane est équivalente à 70% de la richesse moyenne d’un adulte, une performance d’autant plus remarquable que ce chiffre était déjà à 54,9% en 2000. En Belgique, la richesse médiane a donc progressé à un rythme plus important que la richesse de manière générale. Enfin, la part détenue par le top 1% des plus riches s’est réduite au rythme de 1,4% par an en Belgique. À nouveau, aucun autre pays de cette liste ne fait mieux.
  • Même quelqu’un qui est « pauvre » en Belgique a un bilan carbone beaucoup trop élevé.
  • Les riches semblent se voir imputer les émissions de leur entreprise… Alors, ce n’est plus juste. Pourquoi ne pas l’imputer aux consommateurs alors ?

Enfin, vous donnez une partie de la réponse : ils sont proches de l’objectif de 2030. Ce qui n’est que la moitié du voyage. Reste à savoir s’ils sont d’accord pour diviser par deux le reste… Cela ne nous apporte pas non plus la réponse sur le fait qu’il faut tirer de la misère – ou non – la part significative de ceux qui s’y trouvent et veulent s’en sortir, très légitimement. Comment dire à la Chine d’arrêter son développement ? Ou l’Inde ? Ou que l’on veut enjoindre les Africains à rester dans l’état où ils sont ?

Dans la lutte contre le changement climatique, c’est la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et l’adaptation aux impacts qui importent. Donc le sujet est : comment ou où je génère de la richesse de manière décarbonée. La lutte contre les inégalités est un sujet important. Mais il ne vient qu’après.

Jusqu’à preuve du contraire, les autorités qui ont le monopole de la contrainte sont les Etats et les personnes que votre note envisage de punir sont très mobiles. Je préfère donc convaincre ces « privilégiés » d’adopter des technologies bas-carbone et d’investir massivement dans ces technologies et ces infrastructures plutôt que de les poursuivre vainement à travers le monde… Nous avons 26 ans pour décarboner l’ensemble de la planète et, clairement, nous n’avons pas le temps de courser des milliardaires parce que ça ne règlerait de toute façon qu’une petite partie du problème.

4. G-L B: « Plus de ‘’sobriété’’ dans tous les domaines (en lien avec une réduction des énergies et des ressources disponibles) ? Si cela veut dire aller vers la décroissance, c’est non. »

« La décroissance générerait une révolte sociale. La croissance est nécessaire pour financer, entre autres les pensions. »

« Réduire d’une manière générale la consommation privée ? Non.

– Cela conduirait à restreindre les libertés (manger moins de viande, réduire la taille des logements,…)

– Les « Bobos aisés » suggèrent de faire ceinture, mais pour nombre de citoyens, disposant de peu de moyens, c’est impossible.

– Enfin, que deviendrait une Europe en décroissance face aux autres puissances qui maintiendraient le modèle actuel ? Les Européens voudraient-ils jouer ‘’aux idiots utiles’’ » ?

« Je serai pour la sobriété lorsqu’une majorité se prononcera en sa faveur ».

MC: Aujourd’hui, la liberté (de consommation) est avant tout la liberté de faire n’importe quoi pourvu que cela serve les seuls intérêts à court terme, au détriment des générations futures. C’est très réducteur (et populiste) de justifier les excès de consommation du présent en invoquant le respect des libertés aujourd’hui, en ignorant les restrictions des libertés qu’ils entraîneront pour les générations futures.

L’histoire nous enseigne qu’à certains moments décisifs, des homme politiques, plutôt que de surfer sur la vague de la majorité, se sont élevés au niveau d’hommes d’Etat pour montrer la voie hors des sentiers battus.

Quant aux citoyens, disposant de peu de moyens, leur parler de plus de sobriété, ce ne serait pas pensable…  Ce n’est bien sûr pas à eux que le message s’adresse (voir point 3).

On entre en décroissance, et elle va toucher à des degrés plus ou moins rapides et divers toutes les régions du monde. La voulons-nous gérée ou subie ? Si on remet en cause notre modèle, on a une chance de la gérer.

A quoi (à qui) cela sert-il de placer l’économie de marché au-dessus des lois de la nature (physique) ? Vouloir assujettir la physique aux besoins de plus en plus délirants d’une économie déconnectée du réel relève de la folie.

Pourtant, rien ne nous empêche de changer les règles du jeu de l’économie afin qu’elle soit plus en phase avec la réalité (p. ex. prise en compte objective des ‘externalités’ et des limites du milieu naturel dans le calcul de la valeur au lieu de les ignorer).

La croissance sans fin du PIB n’est même pas une option : il nous reste le choix entre la décroissance ou l’effondrement, et – pourquoi pas – redéfinir de nouveaux critères de prospérité qui poursuivraient des objectifs de progrès humain et d’équilibre avec le vivant, avec certains secteurs en décroissance et d’autres en croissance.

Réponse de Georges-Louis Bouchez à MC:

Je suis profondément démocrate. Comme je l’ai indiqué dans l’émission : « mettez ça dans un programme et nous verrons si les gens votent pour vous. » Si non, vous m’indiquez comment vous ferez. Tant que vous ne quitterez pas le cœur de la démocratie libérale, je peux vous suivre.

Mais on ne gouverne pas les gens contre leur volonté. Même les Grands hommes/femmes que vous mentionnez le savaient et ne gouvernaient pas contre leurs peuples.

Par ailleurs, sur le point 3, nous sommes en désaccord. La neutralité carbone veut dire de gros efforts pour presque la totalité de la population en Belgique.

Nous prônons le développement durable. Soit la capacité à assurer notre prospérité et celle de nos descendants. Votre mépris du consumérisme vous aveugle sur le fait que cet accès à des biens et des services a aussi apporté beaucoup de bien-être et de soins à des problèmes que l’Humanité connaissait depuis sa naissance : la maladie, la faim, de l’espérance de vie, de l’éducation, la liberté de bouger, etc. La vision de l’humanité qui retourne dans ses chaines dictées par la Nature n’est pas forcément une utopie partagée par tout le monde.

Nous avons montré à de nombreuses reprises qu’il était possible de concilier l’économie de marché avec les grands enjeux de ce monde, aussi environnementaux. Nous le referons à nouveau cette fois-ci. Et oui, la prise en compte des externalités dans le système économique est un vecteur puissant, même si ce n’est pas le seul.

La décroissance sera subie si nous ne nous émancipons pas des énergies fossiles. Elle le sera aussi si l’on gouverne contre la volonté des gens qui ne mène qu’aux émeutes, aux révolutions, aux privations, à la régression et, in fine, à la tyrannie. Nous avons la volonté de concilier la fin du mois et la fin du monde. Sans cela, vous aurez la fin du monde et vous ne verrez pas la fin du mois.

Aucun pays du monde n’inscrit cette décroissance dans son programme, ni l’ONU ni même le GIEC. La tendance est plutôt au développement durable. Pourquoi devrais-je défendre un modèle qui n’est prôné que par une élite d’Europe occidentale, qui est contre la volonté de la plupart des Belges, qui n’a jamais été mis en place nulle part, n’est au programme d’aucun pays du monde et à toutes les chances de s’écraser sur la réalité ?

Assurer l’avenir de nos enfants en réduisant volontairement leur amplitude d’action et la palette de possibilités de gérer ces enjeux alors que tous les autres pays du monde font le choix inverse me semble, au contraire, juste l’opposé du développement durable.

5. Dernière question d’Arnaud Ruyssen: Quid, à part le climat, des autres limites planétaires que notre modèle économique transgresse ?

Posée en fin d’interview, ce sujet n’a pas pu être vraiment traité, si ce n’est pour s’entendre brièvement dire que « l’agriculture intensive est nécessaire, sinon ce serait la famine dans certains pays. »

MC : L’agriculture intensive mène de toute manière à la famine puisqu’elle aboutit à la stérilisation des sols notamment par l’usage forcé des engrais azotés de synthèse ( => appauvrissement des sols en humus) et des pesticides (=> disparition des pollinisateurs et effondrement de la biodiversité en général).

Elle ne peut pas non plus être séparée de la problématique du climat, l’agriculture étant avec l’industrie et les transports, un des secteurs émettant le plus de gaz à effet de serre. 

Réponse de Georges-Louis Bouchez à MC :

Comme indiqué, nous mettons la science au cœur de notre projet libéral. C’est elle qui nourrit une valeur qui est centrale : le Progrès. Les valeurs de la philosophie libérale ont permis à nos sociétés de développer un système de gouvernement inédit et à tirer de la misère des milliards d’individus. Est-ce que tout est parfait ? Non. Mais un peu moins mal tout de même.

Pour autant, nous n’allons pas renoncer à tout ni oublier d’où nous sommes partis. Et la vérité, c’est que l’humanité a nourri 4 milliards de personnes en plus sur à peu près les mêmes champs depuis 70 ans. Et c’est essentiellement grâce à l’amélioration des rendements.

L’agriculture que vous dénoncez est mise en œuvre depuis 70 ans en Europe. Et avec un certain succès puisque l’UE est autonome dans la plupart des denrées alimentaires contrairement aux années 50. Nous avons une agriculture d’une très grande qualité qui allie le caractère (terroir exporté dans le monde entier : vin, fromage, jambon, etc.), la sécurité alimentaire (traçabilité), la diversité des aliments, l’abondance et l’abordabilité.

La famine sévit par contre dans les populations qui n’ont pas accès à ce que vous dénoncez. Elles n’ont pas accès aux semences issus d’années de recherches agronomiques, ni à l’optimisation des filières entre bétails / prairies / cultures, ni capacités de mécanisation qui libèrent de la main d’œuvre et améliorent les rendements. Elles voient leurs récoltes ravagées par des insectes et des maladies non désirables, voient 30 à 40% de leurs récoltes perdues par manque d’infrastructures de stock et, in fine, nourrissent leurs populations avec des denrées de piètre qualité (nourrir tue encore chaque jour), très peu diversifiées (un aliment principal un peu agrémenté avec les carences que cela engendre) et qui manquent dès qu’il y a des mauvaises récoltes. C’est aussi ces agricultures extra-européenne qui participent à la déforestation.

Sur l’azote, les engrais synthétiques ne font pas varier le taux d’azote d’origine organique. L’important est d’éviter le surplus qui finit en lessivage dans les nappes phréatiques. Cela fait 40 ans que c’est règlementé dans nos contrées.

Il y a un sujet sur la baisse de la biodiversité. Pour autant, si l’on veut encore être rigoureux et fidèle à la démarche scientifique, c’est un autre débat. La biodiversité est impactée par diverses causes et le climat est une des mineures parmi celles-ci. Si l’on veut travailler sur cet enjeu de la biodiversité – qui est également majeur -, il faut aussi regarder les causes et les traiter.

Et le moins que l’on puisse dire est que c’est infiniment plus complexe que le climat puisque les causes sont multiples et les diagnostics très différents selon l’endroit où vous vous trouvez. La déforestation n’est pas un enjeu européen. Les espèces exotiques sont très problématiques dans les Etats insulaires. Nous n’avons pas vraiment de sujet sur la salinisation des terres (irrigation à l’eau de mer) non plus et les métaux lourds dans les terres cultivables sont relativement circonscrites (anciennes industries).

Mais l’Europe a des choses à faire dans le déclin des oiseaux des champs ou encore le déclin de la grande faune dans les sols (vers de terre notamment). Elle a aussi son rôle dans la réduction des phytosanitaires (qui se réduit constamment depuis 30 ans) ou sur la lutte contre l’érosion, etc.

Donc oui, il y a des choses à faire. Mais ce n’est certainement pas en oubliant l’essentiel : il faut arriver à continuer à nourrir ces 4 milliards de personnes depuis 1950 et les 4 milliards présents et à venir d’ici 2050, tout en produisant « plus vert ».

Il n’y a pas de baguette magique pour ce faire. En conséquence, nous faisons confiance à ce qui marche et a fait ses preuves – la démarche scientifique – et pas aux marabouts qui prétendent réinventer l’agriculture en vendant des livres.


[1] https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20180208STO97442/reduction-des-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-dans-l-ue-objectifs-pour-2030


[1] Source : https://www.indicators.be/fr/i/G13_GHG/%C3%89missions_de_gaz_%C3%A0_effet_de_serre_%28i62%29

En 2019 : 116 millions tCO2eq (pour une population de 11.43 M d’habitants) = 10.1 t/habitant.

Il s’agit des émissions totales nettes de GES réalisées sur le territoire belge. Elles incluent les émissions et absorptions liées au secteur UTCATF (Utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie), comme l’absorption de CO2 par les forêts. Par contre, les émissions de l’aviation et de la navigation internationales en sont exclues.

[2] En 2020 (année Covid), les émissions ont chuté de 8%. Source : https://climat.be/doc/nir-2023.pdf (p. 47).

[3] A titre purement indicatif. Voir https://plateforme-wallonne-giec.be/Lettre9.pdf  (page 3) datant de 2018 mais dont les sources originelles sont très anciennes (publications datant de 2001, 2007 et 2010).


[1] Source : World inequality report 2022  https://wir2022.wid.world/chapter-6/


[1] https://www.trajectoires.media/l/neutralite-carbone-et-empreinte-carbone

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