Les flexitariens de l’avion.

Ceux qui s’inquiètent du dérèglement climatique mais ne veulent pas arrêter l’avion : « J’attends avec impatience qu’on nous interdise de faire certaines choses ».

Chronique de Guillemette Faure, Publiée dans Le Monde le 20 mai 2022

Ils ont été parmi les premiers à s’inquiéter du réchauffement climatique, à hurler contre les 4 × 4 en ville, à acheter leurs légumes dans une AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), à être capables d’effectuer un détour de 500 mètres pour aller jeter leurs épluchures dans le composteur du quartier.

Le seul truc, c’est l’avion. Le flight shaming (la honte de prendre l’avion) n’est pas encore arrivé jusqu’à eux. Les voyages, c’est leur « petit plaisir », disent-ils comme des végétariens reconnaîtraient craquer occasionnellement pour un burger.

Après tout, est-ce si grave de prendre l’avion pour un week-end de trois jours dans une capitale européenne quand on apporte ses sacs en papier et ses bocaux au marché pour éviter les emballages ? Que peut-on faire si les plus sensibles à l’écologie sont aussi amateurs de voyages ? Ils peuvent égrener la liste de tout ce sur quoi ils se sont restreints… et dérouler à la même vitesse un chapelet d’alibis qui justifient leurs prochains trajets en avion.

L’année prochaine, ils le prendront moins, mais cette année ils ont des enfants dans des programmes Erasmus à aller voir. Et puis ils ne vont tout de même pas se rendre à Palerme à vélo pour l’Ascension

A quoi on les reconnaît

Pendant le Covid-19, ils ont trouvé très bien les vacances en France. Quand ils étaient en Grèce pour dix jours l’été suivant, à l’époque des incendies, ils ont trouvé incroyable qu’on ne se préoccupe pas plus de la crise ­climatique. Ils ont vaguement l’impression qu’une voiture de location crache du CO2 de location. En hiver, ils jugent écologiquement choquantes ces grandes publicités pour des vols à 39 euros. Au printemps, ils trouvent économiquement choquant de devoir payer des allers-retours à 400 euros. Sur Instagram, ils postent encore des photos de leurs vacances mais pas celles prises du hublot de l’avion. Qui sait, leurs followers penseront peut-être qu’ils sont arrivés là en train.

Comment ils parlent

« Je suis allée à New York, mais avec le Covid-19 je n’y étais pas allée depuis deux ans. » « Notre fille a failli annuler ses vacances au moment du rapport du GIEC [le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat]. » « Il y a quand même des trucs qui ne se font plus. » « Si on fait le bilan carbone de la famille, mon mari n’a pas pris l’avion depuis trois ans. » « Il faudrait vraiment un cas de force majeure pour que j’aille dans le Midi en avion. » « J’attends avec impatience qu’on nous interdise de faire certaines choses. » « L’an dernier, on a découvert la Haute-Loire. » « Leurs enfants leur ont imposé d’aller en Pologne en bus, on n’en est pas là. » « Francfort, maintenant, j’y vais en train, mais les Etats-Unis, c’est pas possible… » « Venise, d’habitude, j’y vais en train couchette, mais avec ma mère je prends l’avion. » « Faut avoir le temps pour prendre le train. » « Par rapport aux milliardaires qui vont dans l’espace, ça va… » « Au moins, on a mauvaise conscience. »

Leurs grandes vérités

On va faire autrement bientôt, mais en attendant on s’arrange comme on peut. Il faut que tout le modèle change. On prendrait bien le train, mais les TGV sont trop chers/trop pleins. Au final, ce ne sont quand même que des problèmes de riches.

Leur question existentielle

C’est du sérieux, ce rapport du GIEC qui préconisait de tirer au sort ceux qui pourraient prendre l’avion ?

Leur Graal

Le conseil de famille pour connaître le nombre de long- et de moyen-courriers qu’on s’autorise pour les cinq années à venir.

La faute de goût

Se vanter des billets gratuits achetés avec ses miles comme si on était encore au XXe siècle.

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